Jenůfa : quand Atom Egoyan réinvente l'opéra de Janáček

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En grande première montréalaise, l’opéra réaliste Jenůfa, œuvre phare du compositeur tchèque Janáček, prend forme dans une mise en scène par le légendaire cinéaste Atom Egoyan.

L’histoire se déroule dans un bourg tchèque isolé où les traditions sont empreintes de conservatisme. Elle se centre autour de Jenůfa, une jeune femme déshonorée après avoir été « engrossée » par son amant. La gardienne de la vertu du village, Kostelnička, commet alors le pire… « Autant ça peut être une histoire sombre, parce qu’elle aborde l’infanticide et l’emprise de la religion sur les gens; autant la fin est porteuse d’espoir », résume Pierre Vachon, musicologue et directeur de l’action sociale et éducation pour l’Opéra de Montréal. Avant chaque représentation, ce dernier exposera l’œuvre au public au Piano Nobile de la Place des arts.

Casser les codes de l’opéra

Composé au tournant du XXe siècle, Jenůfa détonne avec le style en vogue à l’époque. « On surnommait Janáček “l’ennemi des notes inutiles”, rappelle Pierre Vachon. Le compositeur répète constamment de petits motifs musicaux en les retravaillant légèrement. C’est annonciateur de ce qui va se faire plus tard dans le jazz. Ce n’est pas un air de trois minutes qui laisse place à un autre après les applaudissements. C’est un flot incessant du début à la fin de chacun des trois actes. »

Une musique qui rappellera au public la trame sonore d’un film. « Dans les moments de violence, elle devient dissonante, discordante. Elle alterne avec des moments de tendresse, plus intimistes. C’est ce qui en fait sa beauté. » 

Chantée en tchèque, l’œuvre représente un défi pour les interprètes incarnant les différents personnages. Un choix délibéré du compositeur, qui avait pour ambition de mettre de l’avant la langue de sa patrie. « C’était une sorte de plaidoyer nationaliste pour montrer que la langue tchèque est merveilleuse, tout comme les histoires de ce peuple. » Une langue qui a inspiré Janáček jusque dans la création de ses motifs musicaux. 

Entre tradition et contemporain

Le choix par l’Opéra de Montréal d’Atom Egoyan pour la mise en scène de Jenůfa allait de soi, comme le cinéaste, connu notamment pour ses films Exotica et Ararat, s’était déjà attaqué à l’œuvre pour le Pacific Opera Victoria. « Il mêle la tradition et la modernité, décrit Pierre Vachon. Le folklore et la religion appellent à la tradition, mais l’œuvre est adaptée à un contexte contemporain. »

En résultent des costumes mariant les styles, et un décor épuré. « On a une pièce centrale qui symbolise un moulin, un fœtus, plein de choses. Ça va être assez fascinant de voir comment Atom Egoyan joue avec différents éléments traditionnels pour transposer l’œuvre à notre époque. » 

Le cinéaste déconstruit aussi les codes de l’opéra en matière de mise en scène. « Le gros avantage d’avoir quelqu’un qui vient d’un autre milieu artistique, c’est qu’il arrive avec une lecture très fraîche et très créative de l’œuvre. » 

Une œuvre phare

L’auditoire a dû faire preuve de patience, les représentations étant originalement programmées avant la pandémie. Et, même si Jenůfa est encore méconnue du grand public, elle reste l’une des œuvres phares de Janáček, mais aussi du XXe siècle, souligne Pierre Vachon. 

Le musicologue est toutefois convaincu que le récit touchera autant les amateurs et amatrices d’opéra que les néophytes. « C’est tellement une histoire bouleversante, dit-il. Les gens en sortiront marqués. Cet opéra, pour moi, c’est le clou de la saison. »

Jenůfa sera présenté les 22, 27 et 30 novembre à la Salle Wilfrid-Pelletier. 

Auteur : Leïla Jolin-Dahel Date : 13 novembre 2025

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